La delphinothérapie

La delphinothérapie

Le 18 juin dernier, Lori Morino, neuroscientifique à l’université d’Emory d’Atlanta a rédigé un article sur la delphinothérapie et sa réalité. Dr Lori Morino est la fondatrice et la directrice du Centre Kimmela pour le Soutien des Animaux à Decatur en Géorgie. Elle étudie la conscience et l’intelligence des dauphins et baleines depuis 25 ans. (voir également article du 29/01/2013)

J’ai coupé certains paragraphes de l’article qui décrivaient en détails les connotations mythologiques autour du dauphin pour me concentrer sur la traduction de passages spécifiques à la delphinothérapie. Loin d’être écrit en termes scientifiques, l’article vaut vraiment le détour. Après tout, cette pratique cautionne la captivité de cétacés, même à des fins prétendues thérapeutiques.

Les dauphins ne sont pas des guérisseurs

Les dauphins sont des prédateurs intelligents et sociables. Ils n’ont pas leur place en captivité et ils ne devraient pas être utilisés pour « guérir » les malades.

« Imaginez ceci. Jay, un garçon autiste de 8 ans, au comportement agité et peu coopératif, est en train de sourire et patauger dans un bassin. Un couple de dauphins tursiops nagent à ses côtés et l’aident dans l’eau. Les parents de Jay se tiennent au bord du bassin pendant qu’un membre du personnel présent dans l’eau l’engage dans des jeux visuels aux formes colorées. Elle lui pose quelques questions, et Jay, captivé par ce qui l’entoure, commence à répondre. Il nomme les formes, correctement, prononçant ainsi ses premiers mots depuis des mois. Avec toute cette attention, Jay est enjoué. Il apparaît plus conscient et alerte que jamais. Un scan EEG (électro-encéphalographique) rapide et non invasif de son activité cérébrale montre en effet que les résultats sont différents par rapport à avant la séance.

Les parents de Jay, qui avaient perdu tout espoir, sont fous de joie d’avoir enfin trouvé un traitement qui fonctionne pour leur fils. Ils s’inscrivent pour plus de séances et ont hâte de rentrer chez eux et raconter cette expérience à leurs amis. Ils ne sont pas surpris d’apprendre que les dauphins ont réussi là où la majorité des médecins ont échoué. Tout le monde croit que les dauphins sont spéciaux : altruistes, très tendres et tolérants avec les enfants. Et les inquiétudes des parents concernant le bien-être des dauphins ont été apaisées par les dresseurs qui affirment qu’ils sont heureux et habitués du rôle qu’ils jouent. Après tout, comme peuvent le voir les parents, les dauphins sourient.

« Jay » est un personnage composé à partir de douzaines de témoignages qui apparaissent sur les sites de delphinothérapie, mais des histoires comme la sienne, des histoires à propos des pouvoirs extraordinaires des dauphins, sont contées depuis des temps très anciens. Si nous sommes autant attirés par ces créatures, c’est par leur combinaison d’intelligence et de communication, et par le mystère associé au fait qu’ils vivent dans un environnement caché sous les eaux. Les dauphins sont l’Autre avec qui nous avons toujours voulu communier. Et leur « sourire », qui n’en est pas un du tout, mais une illusion anatomique résultant de la configuration physique de leur mâchoire, a créé l’illusion que les dauphins sont toujours joviaux et contents, cumulant les croyances mythologiques qu’ils détiennent la clé du secret du bonheur.

(…) L’intelligence et la sophistication des dauphins n’est évidemment pas que mythologique. Des décennies de recherche scientifique ont montré qu’ils possèdent un cerveau large et hautement élaboré, des capacités cognitives prodigieuses, une reconnaissance de eux-mêmes démontrée, des sociétés complexes, et même des traditions culturelles.

(…) Beaucoup de personnes décrivent leur expérience de nage avec des dauphins comme la plus exaltante et transformatrice de leur vie –parfois même comme le meilleur moment de leur vie. D’autres parlent d’un sentiment d’euphorie et de profonde intimité avec les dauphins. Je doute un peu que ce sentiment soit partagé par les dauphins. En fait, ce n’était vraiment qu’une question de temps avant que le concept de delphinothérapie émerge. (…)

La delphinothérapie implique typiquement plusieurs séances de nage et d’interaction avec des dauphins captifs, souvent accompagnées des tâches thérapeutiques plus conventionnelles comme des puzzles ou des exercices moteurs. Le prix standard d’une séance de delphinothérapie, où les dresseurs ne sont pas tenus par la loi de présenter une quelconque formation ou qualification, est exorbitant, atteignant des milliers de dollars. (…)

Ne garantissant pas toujours une guérison, les structures de delphinothérapie se qualifient clairement comme une thérapie et non un moment de détente. Sous des standards minimums, une thérapie authentique doit présenter un lien entre une condition particulière et mener à des effets curatifs mesurables. En comparaison, les partisans de la delphinothérapie citent des preuves, plus précisément, des anecdotes démontrant une série d’explications pour sa prétendue efficacité, allant d’une amélioration de la concentration à un changement dans les ondes cérébrales, ou à des effets psychologiques de l’écholocation (haute fréquence du sonar du dauphin) sur le corps humain. Les parents d’enfants autistes et autres qui paraissent bénéficier de la delphinothérapie pensent que ces explications sont scientifiquement plausibles. Il est difficile de résister aux photos d’enfants souriants et aux témoignages émouvants de parents qui, comme eux, ont un jour été désespérés. Même les sceptiques de la validité de cette thérapie haussent souvent les épaules et disent « où est le mal ? ». Dans le pire des cas, un enfant qui connait très peu l’amusement ou le sens de l’accomplissement peut y trouver de la joie, un peu de réussite personnelle et une relation avec d’autres personnes, quelquefois pour la première fois de sa vie. Mise à part toute cette justification personnelle, la question le plus souvent oubliée est la suivante : qu’en est-il des dauphins ?

Les structures de delphinothérapie partagent souvent sur leur site internet des témoignages de parents enthousiastes ; quelques-uns sont enregistrés juste quelques minutes après la fin de la séance, au moment où les parents ont le plus d’espoir. Ces sites attirent d’autres parents qui cherchent désespérément un remède pour leur propre enfant. Ils repartent impressionnés par la preuve que la delphinothérapie puisse améliorer la vie de leur enfant, et l’approche apparemment scientifique du personnel. Tout a l’air tellement prometteur, ils s’imaginent ainsi que cela rentabilise le coût du déplacement, les heures en dehors du travail, et le prix élevé.

Pourtant, beaucoup de parents interviewés dans les témoignages enthousiasmants rentrent chez eux vers une déception renouvelée. Leur enfant retombe dans sa routine, et redevient silencieux. Au début, la dissonance cognitive ne permettra pas aux parents d’envisager la possibilité qu’ils ont gaspillé leur argent. Mais ils reconnaissent plus tard que rien n’a changé, et que la progression initiale était due à l’excitation du voyage et toute l’attention particulière dont leur enfant avait bénéficiée.

Beaucoup de familles visitent des structures de delphinothérapie et obtiennent un peu plus de résultats qu’ils n’en auraient eus en interagissant avec un chiot.

La vie des dauphins est triste de la même manière. Cachés derrière leur sourire, et ainsi largement invisibles aux patients et aux vacanciers, les dauphins captifs vivent leurs jours dans un stress épouvantable en essayant tant bien que mal de s’adapter à un environnement qui, physiquement, socialement et psychologiquement, est radicalement différent de leur environnement sauvage. Les conséquences sont accablantes. Le stress entraîne un dysfonctionnement de leur système immunitaire. Ils décèdent souvent d’ulcères gastriques, d’infections et autres maladies immunitaires liées au stress, non traités sauf quelques fois lorsque des laxatifs ou antidépresseurs sont dissimulés dans leur nourriture.

Le pire est sûrement qu’il n’y ait absolument aucune preuve de l’efficacité de la delphinothérapie. Dans le meilleur des cas, il se peut qu’il y ait des effets de courte durée. Le sentiment de bien-être lié au fait d’être dans un nouvel environnement et l’effet placebo qui nous pousse à avoir des attentes positives peut contribuer à ces effets ponctuels. Rien de plus. Une amélioration chez des enfants autistes, des personnes dépressives et autres est autant une illusion que le « sourire » du dauphin.

Bien qu’il existe de nombreuses études publiées démontrant les résultats positifs de la delphinothérapie, aucune n’a encore contrôlé l’impact du sentiment de bien-être et l’effet placebo. Elles ne présentent même pas un minimum de contrôle pour la plupart. (…) Il n’’y a aucune crédibilité à affirmer que la delphinothérapie offre une thérapie efficace.

Les clients de cette thérapie sont souvent parmi les membres les plus vulnérables de la société, donc l’industrie en abuse. Les patines pseudo-scientifiques et les témoignages non-testés servent à embobiner les parents désespérés et les personnes souffrant de sévère anxiété ou dépression qui seraient prêts à tout pour de l’aide. Ils sont convaincus par des mots comme « traitement » ou « thérapie » et par le mauvais usage de méthodes scientifiques comme les scans EEG pour mesurer les ondes cérébrales, ce qui suggère une légitimité scientifique.

Les conséquences sont potentiellement désastreuses. […] Le public les ignore très largement, parce que les dauphins ou baleines agressifs ou mourants sont souvent remplacés en silence par d’autres capturés en liberté ou transférés depuis une autre structure.

J’ai dirigé des recherches avec beaucoup de dauphins captifs au fil des années, la plupart sont morts prématurément. Presley et Tab, les deux jeunes dauphins avec lesquels j’ai travaillé pour l’étude du miroir et de la reconnaissance de soi-même, ont ensuite été transférés dans une structure et ont péri peu de temps après. Leur mort m’a été difficile à rationnaliser parce que ma propre étude les avait décrits comme des créatures conscientes d’elles-mêmes. Ils m’ont convaincue, plusieurs années plus tard, de ne jamais retourner dans des structures présentant des dauphins captifs et de concentrer mon énergie dans des campagnes pour la protection et la liberté du dauphin. Je comprends que des personnes désespérées continuent de se rendre dans des structures de delphinothérapie pour y trouver de l’aide ou un remède. Malheureusement, ces gens ne réaliseront peut-être jamais que les dauphins auprès desquels ils recherchent de l’aide sont très probablement aussi traumatisés psychologiquement et physiquement qu’eux. »

 

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